C’est le Second Empire proclamé en 1851, qui inaugure l’ère du progrès technique. Ces années de forte industrialisation et de commerce effréné correspondent à l’apogée du capitalisme, synonyme de l’exploitation des travailleurs par les détenteurs des moyens de production.
La machine crée au XIXe siècle le prolétariat. Naissent ainsi les « villes usines » organisées par le patron afin d’attirer et de fidéliser une main d’œuvre qualifiée dont l’usine manque : c’est le paternalisme industriel. En mettant en place cette stratégie, le patron prend le rôle du père qui endosse les responsabilités d’éducation, de protection voire de moralisation. Le patron assume ses « devoirs de chef de famille » envers ses enfants salariés qui lui doivent obéissance. Les patrons précèdent en cela la théorie sur l’autorité légale de Weber. Le père de la sociologie explique que l’autorité une fois exercée par le patron sur ses salariés doit être « proportionnelle » à ce qu’il leur procure. Ainsi, en offrant à ses ouvriers, des logements, des bâtiments publiques, des hôpitaux, des églises ou encore des écoles pour leurs enfants, le patron encadre davantage ses ouvriers et s’octroie le droit de dominer leur vie privée.
En appliquant l’idée du paternalisme au Creusot, dès la seconde moitié du XIXe siècle, Schneider qui n’hésite pas à se faire représenter comme le « saint de la métallurgie » dans son église, crée un nouvel ordre économique et surtout social. Son projet correspond à une prise en charge entière de la vie des ouvriers. Ainsi, le rapport entre patron et salariés n’est plus celui d’une somme versée en contrepartie du travail effectué, mais plutôt celui d’un père avec ses enfants. L’ouvrier est donc considéré comme un « mineur » sur le plan juridique. Afin de le « protéger », les Schneider construisent toute une société à l’abri de l’extérieur. L’objectif est de créer un espace disciplinaire contrôlé aussi bien socialement que fonctionnellement. Par exemple, les patrons évitent toute distraction « pernicieuse » ou contraire à la morale. Ainsi dans ce monde, il n’y a ni bar, ni cabaret. Il ne s’agit pas réellement d’une lutte contre l’alcoolisme mais plutôt d’un contrôle total du temps de ses salariés et d’une volonté d’assurer une relative « paix sociale ».
Les Schneider sont les premiers à mettre en place une forme primitive de la protection sociale avec une caisse de secours et d’épargne. Celle-ci s’inscrit dans une logique capitaliste libérale qui cherche à limiter toute « ingérence » de l’État. Ainsi, l’ouvrier est constamment encouragé à ne pas quitter « son » usine afin de pouvoir bénéficier de la contrepartie de ses prélèvements. Néanmoins, ce système montre rapidement ses limites vers la fin du XIXe siècle, en effet, entre 1870 et 1899, la vague de grèves organisées au Creusot est rapidement réprimée.
De même, à Clermont-Ferrand, Michelin, inspiré du patronage, une pratique de l’Église catholique destinée à offrir une éducation religieuse aux enfants des classes laborieuses, développe le paternalisme. Il fait construire entre 1909 et 1980 plus de 8000 logements pour ses ouvriers !
Si certains voient dans le paternalisme une forme d’expression philanthropique patronale, cette stratégie est très souvent légitimée par le fait qu’il s’agit d’une « mission sociale et morale ». L’entreprise prône par exemple la conjugalité légitime. Ainsi, il est plus simple, d’obtenir un logement à proximité du travail si l’ouvrier est marié que s’il est célibataire ou vit en concubinage. De même, les enfants sont instruits dès leur plus petite enfance dans des écoles construites par le patron. L’objectif de ce système scolaire est d’assurer une bonne éducation morale mais surtout de fournir un effectif scolaire, sur lequel le patron sélectionne une main d’œuvre qualifiée correspondant aux besoins de l’usine. Quant aux femmes, les valeurs et les normes auxquelles elles se soumettent sont très proches de celles de la tradition chrétienne.
Toutefois, les salaires demeurent dérisoires, les ouvriers ne mangent pas à leur faim et vivent dans ces « corons » qui font triste figure ; il s’agit en effet, de petites maisons à un étage identiques et juxtaposées. Ces sociétés ressemblent à de nouvelles féodalités. Nous retrouvons d’ailleurs des rapports sociaux qui s’inscrivent dans la tradition du monde rural. Un patron exerce un pouvoir absolu sur des forçats vivant sur son territoire, c’est le patron de droit divin… Plus fondamentalement encore, ce système conçu pour infantiliser le prolétariat, débouche sur une dépendance effroyable du patron, rendant toute révolte plus incertaine. Cette autarcie imprégnée de la tradition rurale explique aussi la crainte pour le patron que ses ouvriers entrent en contact avec d’autres individus instruits qui pourront leur inculquer des idées socialistes, dissidentes et anticapitalistes. Le patron prend en charge tous les aspects de la vie de l’ouvrier et tente d’atténuer les difficultés des conditions de vie ouvrière afin d’empêcher la montée des idées socialistes et du syndicalisme. Il pense freiner ainsi, la lutte des classes.
Parallèlement, la photographie, qui se développe dans les années 1850 bouleverse les principes de la vision et plus fondamentalement l’appréhension de la réalité. L’artiste photographe, Felix Thiollier découvre dans les années 1890, le paysage industriel de Saint-Etienne en pleine évolution. Alors qu’il est encore balbutiant, ce collectionneur érudit, décide de saisir l’âpre réalité du quotidien des détenus de la Houille, qui vivent à l’écart du monde, à côté des terrils où on entasse au fur et à mesure les déchets des extractions.
Émergent, de surcroît, vers le milieu du XIXe siècle, des idées assimilant la délinquance et le crime à la classe ouvrière. Parfaitement décrite par Victor Hugo dans Les Misérables, la lisière entre la misère et le crime est de plus en plus fortuite et incertaine. Le prolétariat finit toujours par faire preuve d’un comportement déviant qui correspondra finalement à l’idée qu’on en avait. Cette notion sera approfondie par Louis Chevalier dans une étude magistrale, Classes laborieuses et classes dangereuses publié en 1958 où il élabore dans le cadre de l’Histoire sociale une étude de la criminalité pendant la première moitié du XIXe siècle.
Dans les années 1880, Zola explore le Nord où il découvre les « Corons » barricadés, marquant une frontière de deux mondes qui s’ignorent. Le romancier expérimentateur sillonne cet univers clos. Les mineurs lui dépeignent les travaux aliénants qui rythment leur vie. Ce sont précisément ces enquêtes, ces recherches et ces tâtonnements qui feront la force de Germinal publié en 1885. Celui-ci se termine par un monologue prémonitoire, un message politique qui s’adresse aux bourgeois et qui constitue une véritable vision prophétique d’une prochaine lutte sociale et d’une révolution politique : « Hâtez-vous d’être justes, autrement, voilà le péril : la terre s’ouvrira et les nations s’engloutiront dans un des plus effroyables bouleversements de l’Histoire ».
Maram Gadalla, 1ES1.