Depuis maintenant presque 4 ans, une guerre ravage le Yémen. Guerre mise de côté, voire oubliée par la communauté internationale, alors que le pays vit en ce moment la pire crise humanitaire dans le monde selon l’ONU. Vendredi 19 Janvier, le Lycée Français du Caire a accueilli une chercheuse du CEDEJ, Marine Poirier, sur la question primordiale du conflit yéménite. L’intervenante a touché à l’ensemble des aspects complexes du conflit, permettant une meilleure compréhension de cette guerre à laquelle le monde semble avoir tourné le dos.
Quelques dates clés
Janvier 2004, le groupe armé des houthistes, issu d’une minorité zaïdite au Nord Ouest du Pays naît et réclame des réformes socio-économiques. Ceux-ci dénoncent les inégalités et le sous développement. Pendant six ans, les houthistes se battront avec le gouvernement en place, celui de Ali Abdallah Saleh. Janvier 2011, le Yémen est lui aussi touché par la vague du Printemps Arabe. La population revendique des changements sociaux, économiques et politiques depuis plusieurs années et les houthistes jouent un rôle actif dans les protestations au sein de leur région. En réponse au soulèvement révolutionnaire, le Président Ali Abdallah Saleh, à qui l’immunité est garantie, se voit obligé de remettre le pouvoir à M. Abd Rabbo Mansour Hadi. Ce dernier est reconnu par la communauté internationale pour un mandat de deux ans, le temps d’une transition politique. Malgré les espoirs de la jeune génération en ce nouveau gouvernement, ce dernier peine à redresser le pays avec des institutions encore fidèles à l’ancien président Saleh.
Septembre 2014, le Yémen entre officiellement en guerre : marginalisés par le nouveau pouvoir, les houthistes s’emparent de la capitale, Sanaa, et s’allient avec l’ancien président malgré leur opposition régulière. Un accord de paix est signé sous l’égide des Nations Unies et se met en place un gouvernement sous la direction de M. Khaled Bahah. M. Mansour Hadi demeure Président. Mars 2015, Mansour Hadi fuit chez ses alliés saoudiens. Une coalition internationale d’une dizaine de pays menée par l’Arabie Saoudite et soutenue par les Etats-Unis lance le début d’une opération militaire, “Tempête décisive”, déclenchant un conflit armé d’une ampleur inimaginable. Et pendant ce temps-là les civils se retrouvent de nouveau victimes des “dommages collatéraux”… Septembre 2015, le port d’Aden est repris par la coalition et le gouvernement de Mansour Hadi s’y installe temporairement. Août 2016, les négociations de paix qui se tiennent au Koweït échouent. Mai 2017, les houthistes déclarent l’état d’urgence sanitaire, le choléra se propageant à une vitesse fulgurante. Décembre 2017, l’ancien président, Ali Abdallah Saleh, est assassiné. L’acte est revendiqué par les rebelles houthistes, anciens alliés de Saleh.
Des civils au coeur d’une escalade de violence
Depuis le début de la guerre, la population civile se retrouve coincée au milieu du conflit, entre frappes aériennes incessantes et bombardements des infrastructures. L’opération militaire “Tempête décisive”, menée par Riyad, a favorisé la plus grande épidémie de choléra jamais enregistrée. Sur les 30 millions de yéménites, 18,8 millions ont besoin d’une aide humanitaire urgente, notamment de nourriture, d’eau, d’abris et d’aide sanitaire. Cependant, la plupart des fondements sont détruits et désorganisés avec à peine quelques centres médicaux pour venir en aide aux civils dont 3 millions ont dû partir de chez eux. Le Yémen est également frappé par ” la plus grande crise alimentaire au monde”, selon le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres avec plus de 7 millions de personnes souffrant de la faim. Le bilan humain est lourd, très lourd et l’accès aux ONG et à l’aide humanitaire est bloqué. La résolution 2216 de l’ONU en 2015 supposée mettre un embargo sur les armes à destination des houthistes et de leur alliés, bloque l’apport de denrées alimentaires et du matériel médical par les aides humanitaires insuffisantes. Il semblerait que le nombre de victimes bien supérieur aux 10 000 morts recensés par les Nations Unies, ne soit pas assez élevé aux goûts des instances internationales pour que celles-ci interviennent auprès des acteurs régionaux afin de stopper ce massacre une fois pour toute. Ainsi, 30 millions de civils se retrouvent coincés dans un conflit, souvent réduit par la presse à un affrontement entre Chiites de l’Iran et Sunnites de l’Arabie Saoudite, où les différentes parties apparaissent peu respectueuses du droit international et de la vie des populations locales.
Une communauté internationale coupable par son silence
Cela fait maintenant trop longtemps que le Yémen est victime à des crimes de guerre récurrents, dénoncés par beaucoup d’ONG, mais que la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis semblent ignorer en continuant d’apporter un soutien financier, technique et militaire à l’Arabie Saoudite. L’aide financière apportée aux opérations militaires par les parties internationales serait quinze fois supérieure à l’aide prévue pour la reconstruction du pays après le printemps arabe en 2011. Ainsi avec leur appui aveugle, ces puissances mondiales participent aux crimes de guerre : plusieurs commissions d’enquête indépendantes encadrées par l’ONU au cours de 2015 auraient été bloquées par les Américains et Européens.
En outre, malgré les déclarations publiques des Etats Unis sur le danger de l’expansion d’AQPA (Al Qaida dans la Péninsule Arabique), ceux-ci n’ont fait qu’empirer la situation en attaquant pas uniquement les terroristes mais également la population locale par “inadvertance”. Cette “guerre contre le terrorisme” n’a aidé en aucun point au développement du pays, bien au contraire. L’intervention militaire du royaume Saoudien, très coûteuse que ce soit au niveau humain ou financier, ainsi que les frappes répétitives menées par les Américains a entraîné au sein des civils un sentiment profond d’injustice. Ceci n’a fait que favorisé la montée d’AQPA, qui en avril 2015 s’est alliée avec des tribus locales et s’est mise à administrer la région de Moukalla au Sud Est du Yémen, prenant le rôle de l’Etat en apportant de l’aide humanitaire aux civils. Le chaos semblent ainsi interminable et la population se retrouve contrainte à se tourner vers les organisations terroristes dans l’espoir d’un peu de soutien, celles-ci en profitant pour exporter leur violence.
Toutefois, certains pays de la coalition tel que le Qatar commencent à se retirer du conflit, et le royaume saoudien semble lui aussi manifester l’envie d’un cessez-le-feu. Cependant, celui-ci ne veut pas perdre la face devant sa région, il refuse donc de se retirer du conflit yéménite. Ainsi, la guerre semble n’avoir aucune issue, aussi bien diplomatique qu’humanitaire. Malgré le fait que les deux camps n’aient plus la capacité de triompher militairement, les négociations de paix qui paraissaient débuter entre l’ancien président Saleh, prêt à se “rendre”, et l’Arabie Saoudite, ont été définitivement interrompues avec son assassinat par les houthistes. De plus, avec le blocus aérien et maritime, toutes les échappatoires pour les civils ont l’air d’avoir disparu. L’expression “prison à ciel ouvert” employée par l’intervenante, prend alors tout son sens. Et avec la raréfaction des denrées alimentaires, il faudra bientôt bouger des millions de civils. Quel en sera le prix pour la communauté internationale ? Quel sera le prix de leur complicité silencieuse ? Dans ce monde hyper connecté qu’est le notre, nous ne pouvons pas agir comme si nous ne savons pas.